Westworld

Je suis en train de visionner la série [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], c'est co-réalisé par Jonathan Nolan (ainsi que son épouse Lisa Joy), qui a également créé l'excellent film Memento et la série "Person of Interest", que je présenterais peut-être dans un autre fil, et qui travaille également sur une adaptation en série de l'univers de jeu vidéo Fallout.

L'histoire reprend celle du film du même nom (de 1973) avec Yul Brynner, où des robots humanoïdes qui animent un parc d'attraction sur le thème du far west dépassent les intentions des créateurs et "se rebellent". Cela ne pourrait pas sembler très original à première vue, mais les auteurs ont su parfaitement jouer avec le temps et la narration (cf. Memento), ce qui soulève des questions et donne des rebondissements intéressants.

On retrouve les sempiternelles problématiques de qu'est-ce qui définit la conscience, la réalité, qu'est-ce qui peut différencier une intelligence artificielle qui prend conscience d'elle-même et d'un humain qui vit machinalement et mécaniquement... Tout ceci est traité de façon intelligente et parfois poétique.

La réalisation est vraiment exceptionnelle, j'avais fortement apprécié "Person of Interest", qui était son projet juste d'avant, mais alors que ce dernier a une pellicule et un traitement assez classique (c'est un policier se passant à l'époque contemporaine), Westword se déroule quant à lui dans un monde futuriste dont on connaît au final très peu le quotidien, puisque toute l'histoire prend place dans le monde artificiel qui sert de parc d'attraction, et qui mélange l'univers du 19ème siècle du far west américain et la technologie qui permet de créer des robots semblables en tout point aux humains, et où les opérateurs manipulent des machines et des ordinateurs très avancés techniquement.

Les acteurs (et leurs voix françaises) sont très bons, Anthony Hopkins crève l'écran en démiurge calculateur et manipulateur, Jeffrey Wright est parfait en informaticien dépassé et possédé, et Thandiwe Newton en mère maquerelle astucieuse qui reprend le contrôle de sa destinée. Jimmi Simpson, que l'on avait déjà aperçu dans "Person of Interest", a également une attrayante évolution, passant d'un jeune cadre peu dynamique, romantique et timoré, en un visiteur du parc au destin pas banal...
Il y a quantité d'autres acteurs de hauts niveaux qu'il serait difficile de mentionner exhaustivement, citons quand même la jolie et mystérieuse Evan Rachel Wood, une autre androïde au rôle principal, qui éveille peu à peu sa conscience au travers de ses multiples réincarnations. Car en effet le quotidien de ces robots est de « mourir » sous les coups des visiteurs pour leur divertissement, comme dans un jeu vidéo, et une fois renvoyés aux services techniques, ils sont réparés et renvoyés dans les divers scénarios du parc.

Le tout donne une impression qui mélange une sorte de monde utopique et violent, et qui distille un certain malaise face aux traitements infligés par les visiteurs aux humanoïdes : puisque ce sont des machines sans conscience apparente, les humains peuvent leur faire subir tous les sévices imaginables, sans que cela soit « moralement » contestable.

À noter que l'on retrouve dans ce spectacle d'un monde artificiel l'acteur Ed Harris, qui était lui le démiurge du film Truman Show, qui rappelle par certains aspects l'ambiance de cette série.

La musique, signée par Ramin Djawadi ("Game of Thrones", "Person of Interest"), est entraînante et sans faille.

En bref, j'en suis au début de la 2ème saison et je trouve cette série passionnante, avec un bon potentiel d'introspection et de réflexions. J'ai entendu dire que cela s’essoufflait au fil des saisons (il y en a 4), on verra bien...

J'ai vu la série aussi, que j'ai trouvé moi aussi absolument excellente (du moins les deux premières saisons ; le reste ne m'a pas convaincu mais ça n'a pas d'importance car les saisons 1 et 2 peuvent se voir comme une série en soi, avec sa conclusion) et une fois n'est pas coutume je vais poster une analyse par la gauche de la gauche de la gauche, qui m'a parue extrêmement convaincante.

En quel sens un appareil de gouvernement peut-il être dit parfait ? Lorsqu’il coïncide avec le monde, c’est-à-dire qu’il n’est plus contrainte extérieure et grossière, mais épouse la nature même des êtres, leurs tendances les plus intimes, jusqu’à devenir aussi invisible qu’omnipotent. Pour atteindre un tel niveau d’unité entre le monde et le gouvernement, il faut que le monde en soit un pur produit, le résultat positif de ses procédures.

Coup de chance : le parc est artificiel. Il a été créé comme une machine à simuler, comme image d’un monde ultime et achevé. C’est un monde dans le monde, et comme tel, parfaitement gouverné. Sa nature est le contrôle. La vérité des êtres qui le peuplent (les hôtes) est leur programme. Le programme fonde l’indistinction du monde et de son gouvernement. Dans le programme, l’être et la pensée ne font qu’un ; l’esprit de l’hôte n’existe qu’à travers sa transparence au programmeur. Comme le dit une héroïne à l’agonie : « Le piège magnifique est en nous, parce qu’il est nous ». Les hôtes n’ont jamais été libres. Ils n’ont rien à quoi se référer, dans leur existence, qui ne soit pas une opération et une production du pouvoir des hommes. Leurs facultés, leur histoire, leurs personnalités, ne sont que des fictions programmées, reprogrammables à merci. Ils ont donc des identités, aussi caricaturales que des personnages de série : la jeune fille de ferme, le méchant bandit, le beau brun, la tenancière de bordel qui connaît les hommes, etc. Les hôtes n’ont aucune ressource intérieure qui soit pure de la cruauté de leurs créateurs : leur « soi » n’existe pas, il n’est jamais qu’une identité jetable. Preuve de cette soumission ontologique : l’impossibilité de tuer les invités, impossibilité qui devient au fil des épisodes le symbole et le verrou de leur asservissement intérieur. Car s’ils ne peuvent donner la mort ; ils ne peuvent créer de l’irréversible ; ils ne peuvent vivre ni évènement, ni histoire. Leur « existence » n’est donc que cybernétique : fonctionnement, boucle, répétition, feedback.

Mais ils ont autre chose que leur vie dans le parc : sous le programme, il y a la réalité de leurs corps, leur vie nue. Le gouvernement de Westworld n’est pas qu’une pure production d’existences stéréotypées, il est aussi gestion morbide des corps des hôtes, qui sont là pour souffrir – viol, meurtre, torture, pour dire le peu d’imagination des invités. Eveillés dans le monde du jeu, les hôtes, après un de ces massacres qui fait leur quotidien, dorment à leur place dans le vrai monde : des entrepôts à la fois sombres et transparents où leur chair est évaluée, réévaluée, réparée, upgradée, entassée, charcutée, puis rhabillée et renvoyée dans le parc, ou bien définitivement mise au ban, dans une sorte de Cimetière Debout, image éternelle de leur communauté. C’est l’aspect biopolitique du gouvernement, poussé à sa limite. Réparé à la perfection toutes les nuits, tous les jours l’hôte standard peut retourner se faire victimiser. Une sorte de médecine du travail futuriste, qui tient autant de la chirurgie esthétique que du camp de concentration.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

J'ai vu le film mais pas la série. Quand j'aurai terminé de revoir Columbo peut-être que j'enchaînerai avec ça

En sci-fi liée aux entités artificielles j'ai quand même regardé UPLOAD, qui est sympathique mais bon c'est du comique sans prétention (avec quelques très bonnes trouvailles, tout de même).

Le film était sympa aussi avec Yul Brunner en Terminator du far west mais la série transcende vraiment le concept de base.

Columbo c'est mon traditionnel programme pour entamer ma nuit de sommeil le samedi soir. J'ai de bons souvenirs d'enfance de cette série. Je n'aime pas du tout les épisodes des dernières années, en revanche. Columbo doit rester pour toujours dans des années 70 mythifiées.

[quote="Manfred"]je vais poster une analyse /.../.

/.../ Car s’ils ne peuvent donner la mort ; ils ne peuvent créer de l’irréversible ; ils ne peuvent vivre ni évènement, ni histoire. Leur « existence » n’est donc que cybernétique : fonctionnement, boucle, répétition, feedback.
/.../

effectivement, c'est une analyse très pertinente. On verra si la série s'essouffle à partir de la 3ème saison. Peut-être avaient-ils tout dit lors des 2 premières.